Les célébrités de la ferme
Le salon de l'agriculture ... tu parles d'un nom !
Comme si, dans les fermes, il y avait la place et le temps de faire salon.
Comme si on avait le loisir de se prélasser dans un canapé, en picorant des cacahuètes, et en feuilletant le dernier Télérama !
Je viens de découvrir en DVD, le film documentaire de Raymond DEPARDON, "La vie moderne" : c'est bouleversant !
Dans le noir, chez moi, je ne savais plus finalement, ni où j'étais, ni quand, ni ce qu'il y avait au dehors.
Ce film ne nous emmène pas très loin, dans les Cévennes, et pourtant ce voyage est exotique.
La route est sinueuse, accidentée, étroite, parfois enneigée. Elle se termine dans la cour d'une ferme. La caméra tourne, en plan fixe, dans la cuisine (non, pas au salon!), dans l'étable, au jardin. Raymond DEPARDON, hors champ, prend des nouvelles de chacun, interroge sur les changements depuis sa dernière visite. Il a apprivoisé ces gens et ce pays, connaît les familles, les habitudes, les hameaux.
L'image est figée sur les personnes, leur visage, leurs silences. Comme si seulement le paysage était en mouvement : l'orage qui s'annonce, la pluie qui fouette, le vent qui balaie les terres hostiles, le soleil qui descend derrière la montagne.
La parole est rare, le travail est dur, les ressources limitées, l'espoir maigre.
On évoque, accoudé à la toile cirée, le conflit des générations, l'homme mûr célibataire qui a rencontré une femme par petite annonce, la maison qu'il faudrait retaper, les enfants qui ont quitté le pays, celui qui s'est sacrifié pour reprendre l'exploitation.
Leur compagnie, ce sont les animaux, chien de troupeau, moutons, vaches, chèvres. Il faut les vendre, on ne les remplace pas lorsqu'ils meurent, la compagnie se réduit ...
DEPARDON montre sans démontrer, filme sans artifice, questionne avec pudeur, se nourrit de cette simplicité, capte les survivances d'un monde qui s'est effrité, et que la France d'en haut oublie, nous transmet ce qui sera bientôt perdu, rayé de la carte, livré à la broussaille.
- Quest-ce que tu veux faire plus grand ?
- Le métier de mon père !
- Ca existera plus !
- Si !
- Ca sera différent. Un agriculteur ça servira bientôt plus à rien.
La sobriété heureuse ?
Décroissance volontaire ?
La caméra franchit une provisoire dernière fois le col au-dessus du village, à l'heure dorée de l'automne, et cette Elégie de FAURE se déploie, accords scandés, fixes, comme Raymond attaché à sa passion, et violoncelle lyrique, dont la phrase est inexorablement descendante.
Dans ce coffret, très bel objet, ce film est assorti d'un documentaire de Claudine NOUGARET, Paul LACOMBE, et d'un autre film, magnifique, sur les parlers disparus et les mots qui ne peuvent plus se dire, ou plus s'entendre : Donner la parole.
La vie moderne - Raymond DEPARDON - Arte Editions - 2009