Pont d'ors
Plus loin, deux amoureux s'embrassent sur un banc, près de l'étang des nymphéas. Monet aurait aimé cette lumière entre deux pluies, cet éclat furtif d'un soleil menacé. Devant le pont japonais, tout étonné du silence nouveau, du charme retrouvé, un sumac déploie voluptueusement la luxuriance orangée de son feuillage tropical. Tout au long de l'étang, les érables sont d'octobre en rouge pomme, en jaune mordoré.
Près des roseaux, d'un aster mauve, la barque en bois vert pâle, avirons sagement couchés, invite au voyage presque immobile, dans un infime clapotis qui n'effaroucherait ni les reflets des saules en longues chevelures, ni les feuilles pâlies flottant sur l'eau. C'est ça, aussi, le miracle de Giverny : malgré les autres, chacun y redevient soi-même ; chacun trouve au bord de l'étang ce reflet du bonheur qui chante pour lui seul son secret de lumière.
Philippe DELERM - Les chemins nous inventent - Editions Stock