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La douce et piquante
5 novembre 2009

Une maladie en -ose

Cette nuit encore, elle ne dort pas. Elle se lève, marche, va fourrager du côté de la bibliothèque, dans l'autre pièce ; puis tu entends le bruit caractéristique de l'ouverture des boutons-pressions de l'étui à violon ; et voilà qu'elle accorde; qu'elle se met à jouer ; atrocement mal : crincrin, abominable crincrin, mais surtout grincement fou, violent, méchant, qui t'angoisse, te terrorise. D'instinct tu sens qu'il faut l'interrompre, arrêter ça, comme si, cette musique, ce charivari, c'était la grande ouverture de la folie, le laissez-passer de tout le reste.

http://ecx.images-amazon.com/images/I/51iSL15Uf6L._SL500_AA240_.jpg


Secrets du passé, le père de Marion est un allemand rencontré par sa mère durant la guerre, et du présent, sa mère, Fanny, est atteinte d'une maladie en -ose, une psychose maniaco-dépressive.
Un autre dédoublement de personnalité troublant, puisque c'est à  la 2ème personne du singulier que Marion/Funny raconte son enfance puis son adolescence, le glissement de la relation fusionnelle avec sa mère vers son rejet.
Le style est concis, beaucoup de ponctuation, des chapitres très courts ... comme les flashs de la mémoire, comme un état d'apnée, de vigilance permanente, d'appréhension de l'avenir, qui empêchent de se projeter, de s'apaiser, de voir loin.
Ce roman est très troublant, très émouvant. S'opposent l'incapacité de sauver sa propre mère de son marasme, de sa folie, cette immense culpabilité, et le désir, la nécessité de se construire néanmoins, avec ses grands-parents, sa grand-tante, puis l'école, les amis, les professeurs comme tuteurs de résilience.
Et vouloir se surpasser en faisant un exposé sur ce poème en prose de BAUDELAIRE :

La Lune, qui est le caprice même, regarda par la fenêtre pendant que tu dormais dans ton berceau, et se dit : «Cette enfant me plaît.»

Et elle descendit moelleusement son escalier de nuages et passa sans bruit à travers les vitres. Puis elle s'étendit sur toi avec la tendresse souple d'une mère, et elle déposa ses couleurs sur ta face. Tes prunelles en sont restées vertes, et tes joues extraordinairement pâles. C'est en contemplant cette visiteuse que tes yeux se sont si bizarrement agrandis ; et elle t'a si tendrement serrée à la gorge que tu en as gardé pour toujours l'envie de pleurer.

Cependant, dans l'expansion de sa joie, la Lune remplissait toute la chambre comme une atmosphère phosphorique, comme un poison lumineux ; et toute cette lumière vivante pensait et disait : «Tu subiras éternellement l'influence de mon baiser. Tu seras belle à ma manière. Tu aimeras ce que j'aime et ce qui m'aime : l'eau, les nuages, le silence et la nuit ; la mer immense et verte ; l'eau informe et multiforme ; le lieu où tu ne seras pas ; l'amant que tu ne connaîtras pas ; les fleurs monstrueuses ; les parfums qui font délirer ; les chats qui se pâment sur les pianos, et qui gémissent comme les femmes, d'une voix rauque et douce !

«Et tu seras aimée de mes amants, courtisée par mes courtisans. Tu seras la reine des hommes aux yeux verts dont j'ai serré aussi la gorge dans mes caresses nocturnes ; de ceux-là qui aiment la mer, la mer immense, tumultueuse et verte, l'eau informe et multiforme, le lieu où ils ne sont pas, la femme qu'ils ne connaissent pas, les fleurs sinistres qui ressemblent aux encensoirs d'une religion inconnue, les parfums qui troublent la volonté, et les animaux sauvages et voluptueux qui sont les emblèmes de leur folie.»

Et c'est pour cela, maudite chère enfant gâtée, que je suis maintenant couché à tes pieds, cherchant dans toute ta personne le reflet de la redoutable Divinité, de la fatidique marraine, de la nourrice empoisonneuse de tous les lunatiques.

 

Lisez également l'article d'Aifelle, très précis, qui m'avait donné envie de me plonger dans ce roman.

 

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Commentaires
F
# Merci, Aifelle, c'est vrai que j'ai terminé la lecture ... très émue !
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A
Un billet très personnel sur ce beau livre : la musique, la poésie .. voilà qui te ressemble. Je suis heureuse que tu aies aimé.
Répondre
La douce et piquante
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