De Mozart à Mao, et retour à Bach
C'est aussi Maître Pan qui, pour m'aider à me concentrer, me fait jouer les yeux fermés, ce que je continue de faire aujourd'hui en concert.
La première fois qu'il m'en parle, nous travaillons le Vingt-troisième Concerto en la majeur de Mozart. (...) Ce jour-là, nous répétons depuis deux heures le début de la première mesure du mouvement lent : do#, ré-do#, un rythme pointé à la main droite, un petit accord de tonique à la main gauche et toute la désolation du monde en quelques notes.
Trente rayons convergent au moyeu
Mais c'est le vide médian
Qui fait marcher le char.
On façonne l'argile pour en faire des vases,
Mais c'est du vide interne
Que dépend leur usage.
Une maison est percée de portes et de fenêtres,
C'est encore le vide
Qui permet l'habitat.
L'Etre donne des possibilités,
C'est par le non-être qu'on les utilise.
Lao-tseu, cité dans le chapitre "La force du vide".
Voilà comment la folie d'un homme, Mao Zedong, et son fantasme de révolution culturelle ont broyé la jeunesse de cette pianiste, comme celle de tant d'autres ; internement dans des camps, dénonciation, auto-critiques publiques, humiliations, privations, certains n'ont pu supporter cet enfer. Son récit est édifiant, la reconstruction pénible et douloureuse.
(...)ce qui, pour notre génération, au-delà de la privation de la liberté et de la misère matérielle, a été notre plus grande souffrance : le déni d'éducation. L'absence de livres, de partitions, de dictionnaires même : un supplice pire que les souffrances physiques endurées, un vide qui abolit l'avenir et rend la mort préférable à la vie. Que vaut une existence sans espoir de développement personnel, qui n'a devant elle que l'obscurité de l'ignorance - et de la soumission, qui en est la fille ? Que le monde médite cette leçon de la Révolution culturelle : pour assurer la paix et l'avenir du monde, la priorité absolue a un nom, l'éducation.
Editions Robert Laffont - 2007